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In memoriam Bui Huy Duong

(1937-2013)

Hommage de l'Académie des Technologies

Publié le 12 Juin 2013 par André Zaoui

Hommage de l'Académie des Technologies

Notre confrère Huy Duong Bui, membre fondateur de notre Académie, correspondant puis membre de l’Académie des Sciences, chevalier de la Légion d’Honneur, est décédé le 29 mai dernier à l’âge de 76 ans, des suites d’une douloureuse maladie. Enfant, il avait été longtemps tenu éloigné de la ville et privé d’école au Vietnam par de dures années de guerre, d’inondations et de famine et s’il avait appris avec son père, réfugié à la campagne, la chasse et la pêche et avec son grand-père, fin lettré, les bases du vietnamien et de l’arithmétique, son niveau insuffisant de français lui interdit l’accès du lycée français de Hanoï. Qui aurait su prédire alors qu’il deviendrait pourtant l’un des scientifiques les plus brillants et reconnus de sa génération ?... De fait, quelques années passées en cours privé et beaucoup d’effort personnel lui permettent d’obtenir le baccalauréat à 18 ans. La détection de son intelligence exceptionnelle lui vaut ensuite de décrocher en 1955 une des très rares bourses d’étude en classes préparatoires à Paris. Bien qu’arrivé un trimestre en retard en math sup’, il réussit à Polytechnique du premier coup en 1957. C’est ensuite l’Ecole des Mines de Paris dont il est ingénieur en 1961. Il trouve aussitôt un emploi à Electricité de France qui le détache au Laboratoire de Mécanique des Solides, laboratoire en cours de constitution du Professeur Jean Mandel à Polytechnique. C’est le début d’une brillante et double carrière, scientifique et technique, dont il disait il y a une dizaine d’années qu’elle avait déjà duré 80 ans : 40 ans comme chercheur à l’X et 40 ans comme ingénieur à EDF…


Double carrière, de chercheur et d’ingénieur. Double culture, vietnamienne et française. Double Académie, des sciences et des technologies. Double intelligence, théorique et pratique. Double approche, mécanique et physique… Il est frappant de constater à quel point cette notion de dualité aura marqué sa personnalité, sa vie et son œuvre. Lui-même aimait se comparer au chat de Schrödinger, cet animal paradoxal de la mécanique quantique existant simultanément dans deux états différents ! La thèse d’Etat qu’il prépare et soutient en 1969 sur la plasticité des métaux présente elle aussi un double caractère et propose une double série de résultats marquants : expérimentaux, avec des essais de traction-compression-torsion d’une précision inégalée, qui font encore aujourd’hui référence pour la caractérisation de l’écrouissage, et théoriques avec une des premières contributions fondamentales à la transition d’échelle en plasticité du microscopique au macroscopique et la première formulation de la plasticité incrémentale par inéquation variationnelle.


Les années 70 sont marquées par la montée en puissance du programme électronucléaire français. Dans ce cadre EDF mène un programme d’études et recherches où la question de la sûreté de fonctionnement occupe une place centrale, ce qui incite H.D. Bui à investir le champ de la mécanique de la rupture, clé de l’analyse de la tenue en service des matériaux et des structures. En quelques années, il devient l’un des meilleurs experts français de la mécanique de la rupture fragile et publie en 1978 un ouvrage sur la question qui fait encore autorité de nos jours. J’ai plaisir à préciser que cet ouvrage repose sur les notes du cours qu’il avait accepté de faire à mes élèves ingénieurs de Villetaneuse. Cette fois, c’est lui-même qui exploite, entre autres, la notion de dualité en mécanique de la rupture en développant notamment, avec la découverte de l’intégrale I, une analyse duale de celle de Rice et son intégrale J pour le calcul du taux de restitution d’énergie. Motivé par les besoins d’EDF, par exemple pour expliquer l’apparition inattendue de fissures à la jonction d’un tube et d’une plaque épaisse, il découvre ce qu’il baptise la « singularité épine », singularité faible marquée par une discontinuité de contrainte et une singularité de leur gradient en thermoélasticité et en élastoplasticité. Il en va de même pour la rupture dynamique, où il inspire l’invention de l’éprouvette en « pince à linge » qui s’en révèle un outil remarquable d’analyse expérimentale, mais aussi pour l’étude du débit de fuite à travers des fissures qui le conduit à l’analyse de l’interaction entre fluide et fissure en présence de tension superficielle et à la définition d’un facteur d’intensité de contrainte par capillarité. Il anime encore des recherches pour la résolution analytique de problèmes inverses de fissures basée sur la notion de « perte de symétrie », concept proche de celui d’absence de dualité.

Le troisième grand volet de ses recherches est la généralisation de ces dernières préoccupations, toujours très inspirées par les besoins de l’industrie nucléaire, sur le thème de l’inversion de données incomplètes et de la mise au point de méthodes systématiques de résolution de problèmes inverses. Là encore, son esprit géométrique, nourri des notions de dualité, de symétrie et de réciprocité qui inspirent ses intuitions fulgurantes, en même temps que son habileté mathématique qui lui permet de trouver des solutions analytiques d’une simplicité déconcertante là où d’autres s’engouffrent dans les seules approches numériques lui permettent de résoudre quantité de problèmes de détection de fissures, de localisation de failles ou de défaut de matière comme de reconstitution de trajets de chargement. C’est encore à l’instigation d’EDF qu’il s’intéresse, par exemple, à l’inversion de données de microgravimétrie acquises sur la pyramide de Cheops et diagnostique la présence de spirales internes évidées qui, plusieurs années plus tard, pourra être mise en relation avec la théorie de la construction par rampe interne proposée par les architectes Henri et Jean-Pierre Houdin.

H.D. Bui aura formé de très nombreux jeunes chercheurs et ingénieurs, à qui il a su communiquer non seulement son savoir et son savoir faire scientifiques mais aussi son enthousiasme pour la recherche et sa passion pour le rapprochement entre science et industrie, entre théorie et expérience, entre recherche de base et recherche appliquée. A EDF il aura apporté, au-delà de sa contribution au développement du Département Mécanique et Modèles Numériques créé par Yves Bamberger ou du LaMSiD, Laboratoire commun EDF/CNRS fondé par Stéphane Andrieux, son expertise scientifique, ses analyses visionnaires sur l’évolution des sciences et des techniques et surtout le capital humain exceptionnel qu’il a su former par la recherche sur des problématiques clés de l’industrie nucléaire. Auteur de plus de 100 articles et de 4 livres dont certains traduits en 7 langues, il a non seulement fait avancer la plupart des grands thèmes de la mécanique des solides de ces cinquante dernières années mais aussi apporté une contribution de premier plan à l’essor des technologies nucléaires et aux succès de l’industrie nucléaire française.

Il m’est difficile de conclure cet hommage sans évoquer l’ami de cinquante ans, tout de discrétion et de chaleur humaine, d’enthousiasme et de modestie, de compassion et d’intérêt pour autrui. Bien qu’ayant seulement eu comme doctorant du même Professeur Mandel deux ans d’antériorité sur moi, il m’a tout appris pendant nos thèses, sans rien attendre en échange, du nécessaire recuit sous argon de mes fils métalliques comme de la fabrication à l’atelier des ancrages en cor de chasse qu’il avait imaginés, du problème d’Eshelby comme du modèle de Kröner. Bricoleur de génie en même temps que théoricien hors pair, il irradiait l’intelligence et l’ingéniosité en même temps que la bienveillance et la générosité.

Permettez-moi d’adresser en notre nom à tous à sa famille, à laquelle il portait, il ne cherchait pas à s’en cacher, un amour très profond, l’expression de nos très sincères et confraternelles condoléances. Merci.

André Zaoui

Séance plénière de l'Académie des Technologies du 12 juin 2013

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L
Huy Duong Bui s'intéressait beaucoup à la grande pyramide. Je le remercie d'avoir cité mes travaux dans son dernier livre "Imaging the Cheops pyramid" et je lui dédit cet interview https://youtu.be/ENjA_iiVFyc
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A
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F
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M
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